jeudi 9 novembre 2017

La serpe de Philippe Jaenada


Une nuit d'octobre 1941, dans un château du Périgord situé en "zone libre", trois personnes sont sauvagement assassinées, massacrées à coup de serpe : George Girard, sa soeur Amélie et Louise, la bonne. Le château était fermé de l'intérieur, aucune effraction n'a été constatée alors les soupçons se sont rapidement portés sur Henri Girard, le fils de Georges, quatrième occupant du château, miraculeusement épargné et qui, deux jours plus tot, avait emprunté l'arme du crime aux gardiens du château. L'instruction ainsi que le procès à charge qui suivront en dresseront le portrait d'un enfant gâté, dépensier, arrogant, violent, manipulateur ne s'entendant ni avec son père, ni avec sa tante, avide de récupérer l'héritage familial. Il sera finalement acquitté et l'enquête abandonnée. Henri Girard s'exilera ensuite plusieurs années en Amérique du Sud avant de rentrer en France et d'écrire sous le pseudonyme de George Arnaud, notamment le célèbre le Salaire de la Peur.
Dans ce livre, Philippe Jaenada joue une nouvelle fois les détectives amateurs (... pas tant que ça ...) pour reprendre toute l'analyse de cette enquête jamais élucidée. Il se rend sur place, fouille les archives, les rapports d'enquêtes, les correspondances, lit, croise, teste, reprend toute l'histoire telle qu'elle a été perçue du présumé coupable avant de dénoncer les failles et les biais de l'enquête, de proposer ses déductions et sa théorie sur le mobile et le déroulé vraisemblable de la nuit meurtrière.   

J'avais adoré La Petite Femelle et me suis donc plongée sans hésitation dans ce nouveau roman. On retrouve la même truculence de style avec toutes les apartées, digressions ou associations d'idées propres à cet auteur; les anecdotes personnelles ne manquent pas non plus avec la dérision sur son propre personnage ou la projection de certains points de son enquête sur son vécu de père ou de conjoint. Par allusions et associations d'idées, il apporte quelques éléments de suite à ses romans précédents, notamment à La Petite Femelle, et on a un peu l'impression de poursuivre une conversation entamée précédemment avec l'écrivain. C'est peut-être aussi à prendre comme un signe de l'attachement qu'il développe pour ses personnages, des êtres stigmatisés, diabolisés, broyés et incompris par la société de leur époque et qu'il réhabilite en leur rendant leur part d'humanité, d'intégrité et de fragilité.
L'enquête et la théorie proposées sur cette nouvelle affaire sont par ailleurs très bien étayées et la conclusion tout à fait plausible, très convaincante même si elle est livrée sous couvert d'un roman avec toutes ses limites pour "protéger des innocents qui n'ont pas à porter la faute du père" ... une histoire qui interpelle enfin sur les failles du système judiciaire à l'époque de l'enquête, le poids du juge d'instruction avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur ceux qui les subissent.

Un style très personnel, une enquête méticuleuse et un très bon moment de lecture ! Brillant !     

Nota : ... et en plus, j'aime bien la couverture qui ressemble à un plateau de Cluedo avec le plan des pièces et l'arme du crime, comme une partie dans laquelle il ne resterait plus qu'à trouver le meutrier ...

Titre : La Serpe
Auteur : Philippe Jaenada
Première édition : 2017
Prix Femina 2017

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