mercredi 17 janvier 2018

Le Moine aux yeux verts d'Oyungerel Tsedevdamba et Jeffrey L.Falt

 
Au début des années 2000 à Oulan-Bator, les travaux d'un chantier mettent à jour un charnier de 600 corps vers lequel est conduit le lama Agvaan du monastère de Gadan. Les ossements sont ceux de lamas exécutés en masse qui le renvoient au temps des années noires de sa jeunesse, à son histoire personnelle et à celle de son pays, du milieu des années 1930 jusqu'aux années 1950, une époque de bouleversements majeurs pour la Mongolie marquée de l'estampille du grand frère stalinien avec ses purges contre les "féodaux"/les descendant de Ghinggis Khan et tout ce qui touche à la religion, ses goulags, la brutalité et la guerre.
On va alors suivre le destin d'Agvaan, Basaan et Tserennadmid qui survivront aux épreuves imposées par leur condition religieuse de lamas, chacun à sa façon, par la collaboration, la souffrance ou la fuite, les renoncements et la dissimulation. La vie et le sort de la population laïque, bergers nomades ou soldats, sont traités au travers du parcours des autres membres de leurs familles et voisins avec notamment Bolt, le frère de Basaan et sa femme Sendmaa avec qui il partage un amour secret ... 

Une fresque romanesque pour découvrir l'histoire tragique de ce pays oublié et méconnu si ce n'est pour l'immensité de ses espaces qui font rêver les voyageurs. Quand on a en plus la chance d'avoir pu se rendre en Mongolie, ce livre donne un éclairage vivant sur un certain ressenti et des non-dits, permettant par exemple de comprendre le comment/pourquoi de l'état des temples qui commencent tout juste à revivre ou simplement, les raisons de l'adoption de l'écriture cyrillique.
J'ai eu un peu de mal avec l'écriture dans les premières pages qui contiennent pourtant beaucoup de descriptions détaillées très intéressantes sur la vie traditionnelle dans les temples, la culture et les interrelations entre lamas et population, sans doute parce que la narration commence doucement et un peu gentiment avec l'histoire d'amour entre Basaan et Sendmaa. Cette impression fugace d'ennui s'est toutefois très rapidement effacée avec une accélèration du rythme et une lecture qui m'a alors totalement absorbée et passionnée, un récit poignant dénonçant l'absurdité d'un régime totalitaire jusqu'auboutiste broyant tout sur son passage. Une magnifique galerie de portraits s'y aligne, les différentes techniques de résilience s'y déploient et on est emporté dans des paysages grandioses mais cruels pour l'homme et les bêtes, des steppes et forêts au désert de Gobi, jusqu'à la grande muraille de Chine, à l'Altaï ou encore au lac Khuvsgul.   

Une saga romanesque singulière, ambitieuse et réussie, par deux auteurs qui savent a priori bien de quoi ils parlent ... et un épilogue qui fait froid dans le dos !
Un avis sans doute légèrement partisan, mais mon premier coup de coeur de l'année !

Biographie d'Oyungerel Tsedevdamba (publiée sur le site de l'éditeur, Grasset) :
Militante des droits de l’Homme reconnue, Oyungerel Tsedevdamba a occupé plusieurs fonctions politiques de premier plan en Mongolie, notamment comme députée et Ministre de la culture. Elle est l’auteur de onze ouvrages, dont trois coécrits avec Jeff L. Falt.
Biographie de Jeff L. Falt (publiée sur le site Hachette) :
Avocat et militant en faveur des Droits de l’homme, Jeff L. Falt a rencontré Oyungerel Tsedevdamba lors d’une mission de paix en Mongolie. Ils se sont mariés en 2004 et vivent désormais en Mongolie où ils dirigent une ONG.

Titre : Le moine aux yeux verts
Auteur : Oyungerel Tsedevdamba &  Jeffrey L.Falt
Première édition : 2017

Tiré du livre :
- La gratitude est le fondement spirituel de la joie. 
- Ikh Khuree a été rebaptisée Oulan-Bator. Que pensez-vous d'avoir appelé "héro rouge" un lieu aussi important ? - Je suppose qu'ils ont changé le nom pour séparer l'État de notre religion bouddhiste, Ikh Khuree signifiant "grand monastère". En tant que croyant, je considérerai toujours Ikh Khuree comme tel. Pas Da Curie, comme l'appelaient les Mandchous. Ni Urga, son nom séculier du temps du Bogd Khan.   
- Il s'était habitué à employer le jargon du Parti, ce qui créait et maintenait une distance entre son travail administratif et la réalité brutale des conséquences de celui-ci. 
- La liberté ... comme elle est précieuse. Nous ne nous rendons compte de sa vraie valeur que lorsque nous la perdons. 
- Personne ne savait vraiment ce qui se passait à l'intérieur des prisons-goulags disséminées dans le pays. Personne ne savait que le monastère de Dayan Deerkh n'était qu'un des sept cents temples et monastères bouddhistes pillés et détruits à travers la Mongolie. Mais la raison pour laquelle aucun des autres bergers n'était retourné au Dayan Deerkh était parfaitement claire : ils avaient peur. 
- Aucun Mongol ne détruira le palais du Bogd Khan, ni le monastère de son frère [Choijin Lama] ! Ce sont les symboles de l'âme de la Mongolie !

1 commentaire:

  1. Dear Sophie,
    I would like to ask your permission to use a quote from this blog. Could you please contact me to my email oyunlt@gmail.com ?
    Oyungerel

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